La proposition de loi
de régulation du prix du livre numérique
Dessin
: Duhamel
La
proposition de loi déposée le 8 septembre 2010 a pour
objectif de permettre aux ayants droit de conserver la maîtrise
du prix du livre dans l'univers numérique.
Quels
en sont les principaux éléments ?
Une
loi pour quel livre numérique ?
La
proposition de loi ne s'applique pas à tout livre numérique.
Elle
ne concerne que certains livres numériques qui se définissent
par rapport à un livre papier, existant ou à venir, à
savoir : qui seraient déjà imprimés, ou imprimables
sans perte significative de contenu.
On
parle de livre "homothétique".
Seront
donc a priori exclus du cadre de la loi, les livres enrichis d'éléments
non imprimables tels que son, vidéo, élément animé
ou interactif.
De
même, la proposition de loi précise que seront exclus les
livres numériques associés à des services et proposés
à des fins d'usage collectif ou professionnel comme par exemple
les offres de livres numériques proposant des mises à
jour, un abonnement à une sélection d'article.
On
suppose aussi que les abonnements donnant accès aux ouvrages
de bibliothèques n'entreront pas dans le champ de la loi.
Mais,
la frontière sera difficile à tracer.
En
effet, la proposition de loi prévoit que seront couverts les
livres numériques dont les contenus imprimables comporteront
des éléments accessoires propres à l'édition
numérique.
Où
se situe la limite entre "éléments accessoires propres
à l'édition numérique" et "contenus
non imprimables" ?
Les
logiciels permettant de prendre des notes, les liens hypertextes, les
moteurs de recherche, les fonctions de zoom, les bruitages sont-ils
des éléments accessoires propres à l'édition
numérique ou sont-ils des contenus non imprimables ?
Ainsi
les bandes dessinées adaptées de l'édition papier
pour le téléphone mobile seront-elles des livres numériques
au sens de la loi ?
Un
livre numérique composé d'images accompagnées d'un
texte lu bénéficiera-t-il de la loi, en considérant
alors que la lecture d'un texte après transcription est un contenu
imprimable ?
Un
livre imprimé comprenant des éléments de réalité
virtuelle (réalité augmentée) et offrant donc des
éléments qui ne peuvent être imprimés entre-t-il
dans la définition de la loi ?
Sans
parler de l'alinéa 3 de l'article 2 qui manque de clarté
: la loi s'appliquerait-elle à la vente d'un ouvrage associé
à des services qui n'aurait des fins d'usage ni collectif ni
professionnel ? (Exemple : un livre numérique pour enfant vendu
à un prix donné avec des jeux qui parviennent au lecteur,
échelonnés dans le temps, sur un compte Internet.)
Vous
avez dit "prix unique" ?
Contrairement
à son aïeule, cette nouvelle loi ne pourra être appelée
communément "Loi sur le prix unique du livre numérique".
Elle porte d'ailleurs le titre de "Loi de régulation sur
le prix du livre numérique". On comprend pourquoi.
En
effet, quand bien même la proposition de loi précise qu'une
même offre serait vendue au même prix quelque soit le canal
de vente utilisé, elle autorise la fixation de prix différents
"en fonction du contenu de l'offre, de ses modalités d'accès
ou d'usage".
Car,
comme le reconnaît elle-même la proposition de loi, il paraît
difficile de limiter le livre numérique à un simple contenu.
Il sera nécessairement associé à des services et
"des éléments accessoires propres à l'édition
numérique" : modalités de lecture, possibilité
d'effectuer un certain nombre de copies, accès à un nombre
donnés de postes, contenu accessible sur un ou plusieurs supports...
D'où,
la possibilité pour l'éditeur de proposer une multitude
de prix pour un même contenu en fonction des services proposés,
à charge pour l'acheteur d'étudier attentivement les offres
qui lui seront proposées.
La
vente à l'unité
Dans
son préambule, la proposition de loi est claire : le texte proposé
s'est inspiré du postulat que "la croissance du marché
du livre numérique sera tiré, du moins à moyen
terme, par la vente du livre à l'unité et non par le développement
de modèles d'offres plus complexes."
Sans
doute est-ce pour cela qu'elle envisage uniquement la fixation du prix
par l'éditeur pour la vente d'un ouvrage à l'unité.
Ainsi,
il n'est pas prévu que la loi puisse s'appliquer à la
location à l'unité d'un contenu, à savoir la consultation
d'une seule œuvre pour une durée déterminée.
(Exemple : la consultation d'une bande dessinée dans son intégralité
pendant 10 jours moyennant un prix.)
En
effet, les termes employés par la proposition de loi sont "vente"
et "prix de vente", et celle-ci distingue clairement la
"vente" de la "location" et de "l'abonnement".
Seuls
sont envisagés la location et l'abonnement pour les offres groupées
de livres numériques (type vente en bouquets). La proposition
de loi instaure, dans ce cas, une chronologie des ventes comme pour
le club, la vente groupée ne pouvant intervenir qu'au terme d'un
délai suivant la première mise en vente sous forme numérique
et sous le contrôle de l'éditeur.
Ainsi,
telle qu'elle se trouve rédigée aujourd'hui, la proposition
de loi ne permet pas à l'éditeur de maîtriser le
prix de l'accès d'une œuvre
à l'unité sous forme de location.
Une
loi entre éditeurs et détaillants établis en France
Le
prix de ce livre numérique sera fixé par toute personne
établie en France et éditant un livre numérique
dans le but de sa diffusion commerciale.
Et
le prix de vente fixé s'imposera aux personnes établies
en France proposant des offres commerciales de livres numériques
au détail quelque soit le canal de vente.
Que
signifie "établi en France" ?
La
notion d'établissement renvoie à celle de l'activité
de l'entreprise, qui peut être distinct de celui du siège
social.
La
directive sur le commerce électronique définit le lieu
d'établissement comme "l'endroit où un opérateur
exerce d'une manière effective une activité économique
au moyen d'une installation stable pour une durée indéterminée".
Sachant que la présence et l'utilisation des moyens techniques
nécessaires pour fournir le service ne constituent pas en tant
que telles un établissement du prestataire.
Cela
signifie que l'emplacement du serveur est insuffisant à caractériser
un établissement.
Ainsi,
sont a priori concernés par la loi les éditeurs et détaillants
ayant une activité commerciale en France, quand bien même
leur serveur serait situé à l'étranger.
Mais,
l'obligation de respecter le prix fixé par l'éditeur ne
s'impose qu'aux seuls opérateurs établis en France.
Il en sera de même pour les ventes à prime.
Aussi,
comme le rappelle en préambule la proposition de loi, pour les
livres vendus par des opérateurs établis en dehors du
territoire français, un "contrat de mandat" pourra
être mis en œuvre,
à savoir : un contrat où l'éditeur donne mandat
à un détaillant de vendre, en son nom et pour son compte,
un ouvrage à un prix donné.
Mais
ce contrat n'existera que si l'éditeur et le détaillant
s'entendent sur ses termes.
Conclusion
Par
souci d'harmonisation, il faut espérer que cette proposition
de loi et celle concernant une TVA réduite pour le livre numérique
optent pour une même définition du livre numérique
dit "homothétique".
Mais
ce livre numérique imprimé ou imprimable vendu à
l'unité sur le territoire français correspond-il au livre
numérique de demain et aux transactions générées
par le commerce électronique ?
Les
rédacteurs de la proposition de loi eux-mêmes semblent
en douter :
Une
clause dite de "Rendez-vous" prévoit que le Gouvernement
présentera un an après l'entrée en vigueur de la
loi proposée, un rapport d'application au vu de l'évolution
du marché du livre numérique.
Le
20 septembre 2010
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